Quel avenir pour la viande in vitro ?

Publié le 20 juin 2018

Regards d'expert

Si la viande in vitro a encore du chemin à parcourir avant de se retrouver dans l’assiette des consommateurs, le sujet prend de plus de place dans les discussions concernant l’avenir de l’alimentation. Mais une question brule toutes les lèvres : doit-on croire à cette tendance qui relevait plutôt de la sciences fiction il y a encore peu de temps ?

Des barrières à l’entrée du marché, importantes mais franchissables

Tout d’abord, le prix de production de la viande in vitro est aujourd’hui extrêmement élevé, cependant les coûts devraient s’abaisser largement avec l’avancée de la recherche et l’optimisation des process. De gros investisseurs soutiennent d’ailleurs la recherche surtout en Amérique du nord comme Bill Gates et Richard Branson qui ont tous deux investi dans la start-up Memphis Meat.
Mais la barrière la plus importante va être la concurrence des autres sources de protéines plus durables que la viande et plus naturelles que la viande in vitro. Les plus gros concurrents étant les protéines végétales qui connaissent actuellement un essor particulièrement rapide (pois chiches, pois, graines de chia…). Mais citons aussi les insectes, les mycoprotéines ou les microalgues qui, malgré le fait qu’ils prennent plus de temps à intégrer le marché de masse (nécessité d’éduquer les consommateurs occidentaux), se défendent très bien. D’autres sources sont régulièrement découvertes ou démocratisées comme la moringa, le khai nam ou le rubisco ces dernières années, et l’avenir offrira toujours plus de concurrence à la viande in vitro.
Alors qu’ils sont en quête des sources plus durables de protéines, les consommateurs recherchent en parallèle plus de naturalité dans leurs assiettes, ce qu’ils trouveront plus facilement dans des plantes que dans la viande de laboratoire !
Pour pallier ces problèmes de perception, le secteur de la viande in vitro aura une chance de s’installer à la seule condition de se créer une histoire positive, présentant la solution comme idéale pour les propriétés technologiques et organoleptiques inégalables de la viande vs les protéines végétales. Le goût et les recettes devront ainsi être au centre des arguments.

Quelle stratégie pour créer le marché ?

Après une première arrivée sur le marché qui intéressera les curieux et les « early-adopters », les acteurs de la filière viande in vitro devront investir largement dans des campagnes d’éducation pour avoir une chance de s’installer durablement. Par ailleurs, le prix de vente devra être comparable avec celui de la viande traditionnelle (tranche haute).
La pénétration du marché ne devrait pas aisément passer par la grande consommation mais plutôt via des canaux spécialisés destinés à des groupes de consommateurs spécifiques comme :
– Les sportifs, qui sont friands de tester de nouvelles sources de protéines dont les plus techniques
– La restauration spécialisée séniors, qui est un secteur à forte perspective d’évolution dans les prochaines années. La viande in vitro pourrait y trouver sa place à condition qu’un travail sur les textures soit mené pour adapter les produits aux problèmes de mastication rencontrés par les personnes âgées.
– Les personnes cherchant à contrôler leur poids : les viandes cultivées en laboratoire pourraient offrir un parfait profil nutritionnel pour apporter des protéines pour leur effet satiétogène associées à un faible apport en matières grasses.
En termes de zone géographique : les pays industrialisés seraient bien sûr les premiers intéressés (car les problématiques de coûts sont tout de même présentes) avec une priorité pour les pays de la région Asie-Pacifique, dans la mesure où les consommateurs y sont particulièrement ouverts aux nouvelles sources de protéines. Selon Modor Intelligence, 59 % des consommateurs s’y disent prêts à essayer des protéines cultivées en laboratoire (Mordor Intelligence, Asia-Pacific Whey Protein Market – Growth, Trends and Forecast (2017 – 2022), March 2017) !

Gare à la riposte des producteurs de viande !

Il faut garder en tête qu’en parallèle du travail scientifique sur les viandes de synthèse, la filière viande est en train de muter pour s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs. On assiste ainsi à la création de filières durables et « propres » ; la transparence est mise au cœur des communications : transparence sur l’origine des bêtes, leur traitement, les additifs et process utilisés, etc. Par ailleurs, le bien-être animal se place au centre des campagnes et de plus en plus de produits affichent des claims comme « poules élevées en plein air » ou encore « vaches nourries sans OGM ». On voit aussi des campagnes sur l’impact réduit des activités sur l’environnement, ou la compensation par des actions bénéfiques au niveau écologique.
Dans ce cadre, les lobbies occupent une place primordiale : les producteurs vont allier leurs forces pour réagir aux menaces actuelles qui planent sur leur filière. Après des années de considération comme une denrée premium, la perception du marché est en grande transition et ils n’ont pas dit leur dernier mot !

A propos de l'auteur

Julien Pitras

Consultant digital chez Nutrikeo
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