Nutraceutiques : la réglementation appauvrit-elle l’innovation ?

Publié le 9 mai 2019

Regards d'expert

Allégations santé, règlement sur les dispositifs médicaux, Novel Food, Arrêté plantes… La réglementation a fortement évolué. Des arrêtés ont été mis en application ces 10 dernières années et ont impacté les acteurs de la nutraceutique. Aujourd’hui, le contexte réglementaire semble difficile à appréhender.

« Est-ce que cette plante est autorisée en Europe ? »

« Peut-on alléguer sur cette promesse ? »

« Est-ce que mon produit peut avoir un statut de dispositif médical ? »

Ces questions complexes conditionnent de nombreux lancements. Il est donc intéressant de se demander si la réglementation freine et appauvrit l’innovation du marché. Nous vous proposons de démontrer que non, à travers 4 constats !

#1 La réglementation n’est pas un frein au marché

Le marché de la nutraceutique est dynamique depuis plusieurs années. Le marché des compléments alimentaires est toujours en croissance comme le montre les derniers chiffres publiés par Synadiet et IQVIA :

  • Le marché européen dépasse les 11 Mds€ avec 7 % de croissance vs 20171
  • Le marché français a atteint 1,921 M€ en 2018 contre 960 M€ en 20102

Et pourtant, c’est un marché qui est challengé par une réglementation qui cadre bien plus la communication et la formulation qu’auparavant. « La montée en exigence du niveau de qualité et de réglementation en font une profession structurée et dotée d’une grande capacité d’innovation » déclarait Christelle Chapteuil, Président de Synadiet, dans une Interview menée par le syndicat.

Dans ce contexte, ce sont bien les nouveautés et innovations qui expliquent la croissance. Rappelons-le : l’innovation est source de compétitivité, d’attractivité et de leadership. En nutraceutique comme dans d’autres domaines, « l’obsolescence » des produits est souvent de nature psychologique ou sociale. En tant qu’acteur de ce marché, vous devez donc sortir régulièrement de nouveaux produits et concepts pour répondre aux attentes consommateurs. C’est pourquoi le marketing a un rôle à jouer, plus important que jamais, dans le processus d’innovation pour sortir les produits au bon moment. Les concepts devraient être idéalement validés par des études consommateurs qualitatives et quantitatives. Les services marketing, R&D et réglementaires sont ainsi de plus en plus en interaction. Et le niveau élevé de la concurrence est un catalyseur de tensions entre ces services.

#2 Les allégations de santé ne sont pas une fin en soi

La réglementation impacte un produit sur toute sa chaîne de valeur : sourcing, production, qualité, commercialisation et communication. En matière de communication, le règlement (CE) n°1924/2006 définit et régit les allégations, notamment l’emploi des mentions dans les communications à caractère commercial pour assurer une information juste en matière de santé. Ce règlement a surtout forcé les laboratoires à repenser leur communication. Il existe 3 scenarii possibles :

  1. Obtenir ses propres allégations santé. La seule solution si l’on veut rester dans le marketing de la « promesse exclusive » mais une stratégie que tous les acteurs ne peuvent pas s’offrir. Cela demande en effet un investissement coût et temps non négligeable.
  2. Utiliser les allégations génériques mais peu différenciantes, et une compréhension pas toujours évidente.
  3. Ne pas utiliser d’allégation santé.

Dans ce dernier scénario il s’agit de communiquer autrement pour valoriser des promesses santé réglementaires grâce au marketing. Et il existe de nombreuses opportunités de communication au-delà des allégations : de la communication autour de l’ingrédient à la communication environnementale.

réglement nutrition

Cet ensemble participe à la compréhension de l’action du produit. Concernant les ingrédients de la formule on peut miser sur :

  • Le storytelling pour sublimer la connotation de l’ingrédient et son origine
  • La marque des ingrédients brandés pour valoriser un co-branding avec une communication BtoBtoCVous pouvez consulter ici le support de notre conférence sur ce sujet.
  • Communiquer sur des ingrédients stars. Les ingrédients stars comme les produits de la ruche ou les superfruits n’ont pas besoin d’allégation en soi. Ils bénéficient d’une bonne notoriété et sont naturellement perçus comme efficaces.

Au-delà de l’ingrédient on peut suggérer des bénéfices autour du produit via son nom, des visuels évocateurs et l’émotion. Voici ci-dessous un exemple d’application de la méthodologie Opticlaim® menée avec Pharmanager Developement, notre partenaire réglementaire.

allégation santé

Enfin pour communiquer plus amplement sur un sujet et asseoir votre expertise dans un domaine, vous pouvez créer un site environnemental. Une illustration récente avec la start up suisse Amazentis, racheté par Nestlé, qui a développé un site environnemental sur l’Urolithine A. Objectifs: faire connaître et expliquer le mode d’action de ce composé métabolite résultant de la transformation des ellagitanines par les bactéries intestinales.

Les allégations nutritionnelles et de santé ne sont pas la seule façon de communiquer et peuvent être complétées par des moyens plus stratégiques.

#3 La réglementation peut être un levier de différenciation

La réglementation pousse aussi certains acteurs dans une démarche de recherche plus scientifique et à protéger leur découverte. Car l’innovation est un avantage compétitif rarement durable si elle n’est pas protégée. Les brevets et démarches de protection stimulent l’innovation en incitant les entreprises à inventer dans l’objectif de profiter de ces innovations. Cela peut-être sur une méthode d’extraction particulière ou encore sur des applications précises.

Au-delà du brevetage, la réglementation sur les transferts de technologies de l’université à l’industrie peut également faciliter la mise en application de l’innovation grâce à l’acquisition et le transfert d’université au secteur privé. C’est l’exemple des spin off d’université comme A-Mansia, issue de l’Université Catholique de Louvain.

Enfin on peut même créer de l’innovation par la réglementation ! En parade à l’interdiction de l’utilisation du terme probiotique, PiLeJe a déposé le terme de « microbiotique » et « immunobiotique ». Le laboratoire leader des probiotiques en France avec Lactibiane se positionne seul sur ce domaine grâce à ce néologisme très malin !

#4 La réglementation évolue aussi

La vocation de la réglementation n’est pas d’intervenir directement sur la problématique de l’innovation. Elle définit un cadre en fournissant des règles de jeu commune au marché.

Néanmoins la réglementation peut évoluer et accélérer des procédures de demande. L’année 2018 a notamment été marquée par l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2015/2283 sur les Novel Food. Afin de stimuler l’innovation et de faciliter l’accès, le cadre et les démarches ont été simplifiés. D’après le rapport d’activité 2018 de Synadiet « Avant l’entrée en application du Règlement environ 125 demandes de novel food avaient été acceptées en vingt ans. Fin 2018, soit un an après l’entrée en vigueur du nouveau règlement, on compte déjà 14 nouvelles autorisations Novel Food, dont 13 pour les compléments alimentaires […]. Cette croissance des autorisations est le témoin de l’amélioration de l’efficacité du système ».

 D’autre part, des groupes de projet à Synadiet travaillent activement à la construction de plusieurs cadres réglementaires, dont un pour faciliter la communication sur les probiotiques. Un autre groupe de projet, « Option 2B » a pour objectif de défendre la création d’un cadre réglementaire spécifique aux compléments alimentaires à base de plantes en Europe. Les experts de ce groupe de projet élaborent un modèle d’allégations graduées adapté aux préparations de plantes.

Ainsi, en retrouvant les moyens d’intervenir ex ante, la réglementation est à même de créer les fondamentaux qui permettront aux acteurs d’innover dans de meilleures conditions.Innovation Millenials

Finalement il faut appréhender le contexte réglementaire comme une opportunité de communiquer de façon innovante et non pas comme une contrainte. En 2019, la nutraceutique a toutes les clés pour se renouveler et c’est d’ailleurs le thème de notre livre blanc publié en début d’année. Elle a déjà su démontrer sa capacité d’innovation importante. Il s’agira toujours de trouver le meilleur compromis entre crédibilité scientifique, conformité réglementaire et impact marketing.

Pour poursuivre votre lecture et approfondir le sujet rendez-vous le 6 juin prochain à Paris à l’occasion d’une formation organisée par Synadiet sur le sujet suivant : « Allégations et attentes consommateurs ». A cette occasion, notre directeur Grégory Dubourg interviendra sur la problématique suivante : « Comment innover et positionner ses produits en restant conforme au règlement allégation ».

  1. Synadiet, chiffres du marché des compléments alimentaires, 2019
  2. IQVIA, Nutriform Business Days – présentation des tendances du marché des compléments alimentaires, 2018
  3. Synadiet, Rapport d’activité 2018, 2019

Cet article a été rédigé par Nathalie Lévy, Directrice du Pôle Nutraceutique chez Nutrikéo.

A propos de l'auteur

Julien Pitras

Consultant digital chez Nutrikeo
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