Intelligence artificielle dans les médias : menace pour les journalistes ou opportunité pour la profession ?

Publié le 29 juillet 2019

Regards d'expert

« L’intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise naturelle », selon Woody Allen.

La recherche dans ce domaine s’amplifie, une course mondiale à l’innovation est lancée depuis les années 2000. La créativité de l’intelligence artificielle se développe, et le sujet occupe une place croissante dans l’univers des médias. Le Monde, L’Express ou encore L’Opinion ont déjà adopté cet outil au sein de leur rédaction. Présélectionner des informations, recommander efficacement des articles ou produire du contenu rédactionnel : « l’intelligence artificielle promet des avancées qui pourraient modifier profondément le paysage », annonce le quotidien Les Echos dans un récent article.

Mais d’où vient l’intelligence artificielle et que recouvre ce terme ? Quelles utilisations de l’IA dans les médias ? Quels types d’informations traite-t-elle ? Quels bénéfices pour les médias ? Entre fascinations et craintes, Nutrikéo décrypte le phénomène.

Confier la rédaction d’articles à l’intelligence artificielle ?

Vous, qui êtes en train de lire cet article, prêtez-vous attention à la personne qui le signe ? Aurait-il pu être écrit par une intelligence artificielle ? Auquel cas, pensez-vous qu’il soit possible de s’en rendre compte en le lisant ?

Tout commence en 2014 avec l’agence Associated Press, qui publie des dépêches rédigées par des machines. « Les journalistes libérés de tâches d’automatisation, disposent de 20 % de temps supplémentaire en moyenne pour faire des enquêtes », déclare Lisa Gibbs, responsable des partenariats chez AP. 

Certains quotidiens ont suivi, comme le Post. Pour épauler son équipe rédactionnelle pendant les Jeux Olympiques d’été 2016, le média américain a développé son propre outil : une intelligence artificielle baptisée Heliograf qui a rédigé environ 300 articles pour relayer l’actualité de la compétition.

 

retombées presse

Mais de quoi parle-t-on exactement ?

D’après le mathématicien américain Marvin Lee Minsky, l’un des pères fondateurs de l’intelligence artificielle dans les années 1950, l’intelligence artificielle est définie comme « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains, car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement ».

L’expression Intelligence artificielle en tant que telle apparaît en 1956. La recherche progresse rapidement et les techniques s’améliorent sans cesse, avec le développement de programmes conçus pour apprendre de leur propre fonctionnement grâce au machine learning.

Après l’éclatement de la bulle Internet, au début des années 2000, l’intelligence artificielle est portée par une nouvelle vague, qui dure jusqu’à aujourd’hui. Elle investit le secteur des médias et est utilisée pour de nombreuses applications. 

Les Echos

Intelligence artificielle dans les médias : une multitude d’applications

IA et veille

  • Analyser les tendances et détecter les sujets chauds : les médias utilisent des outils de veille, capables de les alerter quand un sujet commence à faire l’actualité. Des logiciels font remonter un événement grâce à des mots-clefs, utilisés à plusieurs reprises dans un moment très bref. Newswhip (start-up créée en 2011 à Dublin) analyse l’écho des médias et sujets sur les réseaux sociaux, et fait aussi des prévisions de sujets à fort écho à base de machine learning. Le Reuters News Tracer met quant à lui sous surveillance quotidienne des millions de tweets pour repérer des sujets potentiels à traiter.BuzzFeed (média de divertissement on-line) se sert de l’intelligence artificielle pour prédire la viralité d’un article et le promouvoir sur le bon canal de diffusion.
  • Recommander des articles aux lecteurs : c’est l’une des  principales utilisations de l’intelligence artificielle dans les médias. Selon une étude de Reuters, 59 % des médias utilisent l’intelligence artificielle pour recommander des articles ou projettent de le faire, à partir des habitudes de lecture de l’utilisateur. C’est ce que propose le Flint qui se définit comme « une newsletter personnalisée confectionnée avec amour par des intelligences artificielles ».

Intelligence artificielle et production  

  • Retranscrire des interviews ou des vidéos : comme relaté dans un article des Echos de janvier 2019, « les journalistes américains passeraient en moyenne six heures par semaine à retranscrire des interviews. Tâche ingrate et chronophage, la retranscription d’interviews audio ou vidéo peut pourtant facilement être confiée à des machines. Celles-ci sont capables de traiter des textes longs, en plusieurs langues, et certaines proposent même de rédiger des synthèses. Plusieurs chaînes de télévision, comme CNN, offrent déjà une retranscription en direct de leurs programmes et les autres médias envisagent de développer ces services. « Cela pourrait permettre de sélectionner plus rapidement les passages les plus intéressants des interviews », indique Lisa Gibbs, chez AP, qui cite l’exemple des discours des dirigeants à l’Assemblée générale des Nations unies. L’agence a conclu un partenariat avec la start-up Trint ».
  • Rédiger des articles : en France, la start-up Syllabs accompagne une vingtaine de médias dont L’ExpressLe Monde20 Minutes ou encore tv dans la rédaction de contenus via à un moteur de rédaction mis au point par des linguistes. Les « robots journalistes » sont capables d’écrire automatiquement des textes de qualité et immédiatement publiables, en répondant aux 4 W : What, Who, Where, When. L’intelligence artificielle est principalement utilisée pour générer des articles sur des sujets répétitifs, comme l’évolution quotidienne des cours de la Bourse ou des résultats sportifs. Un contenu qui s’inscrit parfaitement dans une optique SEO !

Intelligence artificielle et diffusion  

  • Détecter des fake news : en octobre 2018, le Massachusetts Institute of Technology annonçait la création d’un système de machine learning pouvant détecter automatiquement les fakes news : cet outil analyse les sources et détermine un indice de fiabilité en fonction du nombre d’informations fausses déjà publiées. En France, un système similaire est en train de voir le jour grâce au travail de trois étudiants de l’école d’ingénieur l’EPITA.

Epita

Entre opportunités et inquiétudes

Qu’on se le dise, l’intelligence artificielle ne remplacera pas le journalisme. Elle ne mettra pas en péril l’essence même de ce métier. Bien au contraire, l’intelligence artificielle aide les journalistes à se concentrer sur leur valeur ajoutée : produire du contenu éditorial de qualité.

Aucun robot ne remplacera les qualités humaines d’un bon journaliste : la curiosité intellectuelle, l’esprit créatif, l’originalité, le style éditorial, la subjectivité, la passion et la capacité de transmettre des émotions. 

Ce qu’atteste Bruno Sportisse, Président directeur général à l’Inria (Institut national de recherche dédié aux sciences du numérique) dans un article du magazine Challenges. Il estime que dans cette profession, l’algorithme intervient en qualité d’intelligence augmentée.

« Il peut faire gagner du temps sur la recherche d’informations et la rédaction de synthèse, mais le métier de journaliste vient après. Mon attente en tant que citoyen, c’est que le journalisme aille au-delà », affirme-t-il. ».

Il est donc important que les médias s’emparent de cette opportunité technologique pour transformer leurs métiers. L’intelligence artificielle a toute sa place, d’autant plus dans un contexte où l’on demande aux journalistes, certes d’écrire, mais aussi de convaincre les algorithmes comme ceux de Google.

« Pour écrire contre des algorithmes, autant utiliser des algorithmes, et avoir à côté un contenu de qualité qui soit écrit par des journalistes », estime Claude de Loupy, CEO et cofondateur de Syllabs.

Les questions soulevées par l’IA dans les médias

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est un véritable levier d’innovation permettant de réinventer le secteur des médias. Néanmoins, cet enthousiasme pour le sujet n’empêche pas de soulever quelques questions.

Comme l’explique Arnaud Mercier dans son article pour La Revue des Medias « Dès la fin 2014, Tom Kent, journaliste responsable des développements algorithmiques pour Associated Press a publié une liste de dix questionnements éthiques liés au robot journalisme. Relevons-en trois : 

  1. Les récits automatisés sont-ils répétitifs ? Attention, au risque de standardisation de l’écriture et, donc, d’appauvrissement des articles, en chassant l’expression des nuances.
  2. Êtes-vous prêt à défendre ce qui est écrit par un logiciel ? Le risque de déresponsabilisation éditoriale est bien réel.
  3. Qui surveille le robot ? Au moment de l’élaboration de l’outil, il faut garder une vue humaine sur ces contenus automatiques

De plus, on peut se demander si cette facilité à produire ne risque pas d’alimenter la sensation de surcharge d’informations, d’infobésité ? 

Et, qu’en est-il pour les médias qui achètent une technologie issue de l’intelligence artificielle ? La question de sa rentabilisation se pose très vite.

Bref, le sujet de l’intelligence artificielle n’a pas fini de faire parler de lui.

Cet article a été rédigé par Mélanie Lavaysse, Consultante en Relations Médias.

consultante relations medias

Sources : la Revue des Medias/05.02.2018, Les Echos/19.01.2019, Challenges/03.04.2019

A propos de l'auteur

Agathe Vettier

Agathe Vettier

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